L'UEM est-elle crédible ?(1998)

François Jeulin

I. Une volonté certaine d’asseoir la crédibilité de l’UEM
A. Les avantages économiques de l’UEM pour ses membres
  • Baisse des coûts de transaction
  • Elimination du risque de change
  • Baisse des primes de risque
  • Privilèges d’une monnaie internationale
B. Les gages de crédibilité
  • Critères de Maastricht et pacte de stabilité
  • Banque centrale européenne
  • Décisions réglementaires et non discrétionnaires
  • Coordination avec les " out "
II. Qui ne doit pas faire oublier des incertitudes et des dangers
A. Les problèmes de mise en route
  • Cours des monnaies
  • ECU/Euro
  • BCE : indicateurs économiques et objectifs
B. La question de la coordination
  • " Policy Mix " non coopératif
  • Chocs asymétriques
  • Coopération plus poussée
Bibliographie :
  • Problèmes Economiques Union Européenne. 18 mars 1998. N°2560
  • Bérengère Mathieu de Heaulme Retour vers le futur monétaire in MTF-L’AGEFI N° 92/93 Janvier/Février 1998
  • Henri Sterdyniak Théoriquement incorrect in MTF-L’AGEFI N° 92/93 Janvier/Février 1998
  • L’AGEFI. Lundi 4 Mai 1998 (Vol 85)
  • Conférence de Jean Claude Trichet L’Union Economique et Monétaire : le point de vue de la Banque de France. http://dafne.mines.u-nancy.fr/~mconf/disc_trichet.html
  • Etienne Barel, Christophe Beaux, Emmanuel Kesler, Olivier Sichel, Economie politique contemporraine.
  • Emmanuel Combe, Précis d’économie.
Corps de l'exposé (reprise partielle de mes notes, d'où des tournures plutôt orales...) :

Intro : l'UEM va entrer dans sa 3e phase. Il peut donc paraître assez provocateur de se demander maintenant si l'UEM est crédible. Pourtant la crédibilité d'un système de coopération monétaire internationale ne va pas de soi. Le 20e siècle est, pour reprendre les mots de Bérangère Mathieu de Heaulme dasn l'AGEFI, un cimetière de modèles de coopération : de l'étalon or en passant par le GOld Exchange Standart, pour finir par le système de Bretton Woods. Le passé proche montre bien que la crédibilté de l'UEM ne va pas de soi; les dévaluations de 1992 et 1993, ainsi que la sortie du SME de la Livre et de la Lire ont révélé une véritable crise de crédibilité du SME et ont démontré que les marchés ne croyaient pas dans la solidité de l'édifice. En 1995 nombreux étaient ceux qui ne croyaient pas à l'UEM.
Or la crédibilité de l'UEM est essentielle. Si les agents économiques, et en particuliers les marchés financiers, ne croient pas en l'UEM, elle ne pourra se faire.
Comment juger de la crédibilité d'un projet ? Pour que les agents économiques jugent un projet crédible, il faut que celui-ci soit considéré comme viable, rentable, et qu'il y ait des garanties quant à la volonté de sa réalisation et aux modalités d'application. Ce sont ces condiotions qui guideront ma réflexion.
On peut dans un premier temps dégager la rentabilité économique du projet d'UEM ainsi que les efforts consacrés à sa crédibilité. On verra dans une deuxième partie qu'il demeure cependant des incertitudes et des risques qui pèsent sur la crédibilité de l'UEM.
 

I. Une volonté certaine d’asseoir la crédibilité de l’UEM

A. Les avantages économiques de l’UEM pour ses membres

C'est le point de départ logique : pour qu'on puisse croire à l'UEM, il faut qu'elle serve à quelquechose et qu'on puisse en retirer un bénéfice par rapport à la situation actuelle.La création de la monnaie unique devrait conduire à :

  • Une baisse des coûts de transaction résulatant de la conversion des monnaies. Selon la comission, ces coûts représentent entre 0,3 et 0,4% du PIB de la communauté, c'est à dire de 90 à 230 milliards de francs.
  • Une élimination du risque de change intra-européen. La monnaie unique devrait donc améliorer la circulation des capitaux et donc augmenter mécaniquement la taille des marchés de capitaux européens. Les marchés de capitaux une fois définitivement décloisonnés, seront ainsi plus profonds et plus liquides.
  • Une supression des primes de risque incorporés dans les taux d'intérêt des pays à monnaie faible. Cette détente des taux sera favorable à l'investissement.
  • Son statut de monnaie internationale lui permettra de bénificier des "droits de seigneuriage" et permettra en partie de se dégager du risque de change extra communautaire (ex : une entreprise exportatrice aura davantage de poids pour imposer une facture en Euros), ceci d'autant plus que l'Union Européenne est faiblement dépendante de l'extérieur (taux d'ouverture de 10%)
On attend donc de véritables gaisn économiques.
Par aileurs la crédibilité tient aussi aux modalités de réalisation et aux gages de respect des engagements pris.

B. Les gages de crédibilité

Pour que l'UEM soit crédible, la convergence ne doit pas consister en un alignement par le bas des fondamentaux de l'économie -> critères de convergence de Maastricht, en particulier :

    • un taux d'inflation limité à 1,5% des trois pays les moins inflationistes
    • un écart de taux d'intérêt long terme limité à 2% (par rapport aux trois pays aux taux les plus bas)
On doit également éviter un comportement de "free rider" qui rendrait l'UEM non viable (chacun cherchant à tirer la couverture à soi) : chaque Etat pourrait être tenté de relancer la croissance chez lui par un déficit budgétaire accru.Une telle attitude entraînerait immanquablement un effet d’éviction et une hausse générale des taux. Le coût en serait payé par les autres partenaires. Une telle déresponsabilisation des participants à l’UEM conduirait à une perte de crédibilité du projet. D’où le critère de déficit budgétaire à 3% du PIB. Les dettes sont limitées à 60% du PIB pour les mêmes raisons.
Enfin, la crédibilité de l’UEM est renforcée par le dernier critère : le fait d’avoir appartenu au SME et ne pas avoir dévalué sa monnaie au cours des deux dernières années, véritable gage de « solidité » des monnaies et des économies.
Ces règles, destinées à accélérer la convergence ont vocation à garantir la stabilité et la crédibilité de l’ensemble et ont donc été intégrées au Pacte de Stabilité, véritable gage de viabilité de l’ensemble.

Le rôle dévolu à la Banque Centrale Européenne (BCE), et au Système Européen de Banques Centrales (SEBC), est également un élément déterminant pour la crédibilité future de l’UEM : la BCE et le SEBC ont été doté de grands pouvoirs :

    • La fixation des taux directeurs, donc la maîtrise du coût de refinancement des banques (Open Market Policy)
    • La possibilité d’imposer des réserves obligatoires aux banques
    • Et, le plus important : une totale indépendance, y compris en matière de taux de change. Les 15 ont décidé en Septembre 95 que les interventions du conseil sur les orientations générales de la politique de change seraient limitées à des cas exceptionnels et ne seraient pas chiffrées. La BCE Européenne aurait ainsi davantage que la Banque Centrale Française.
L’indépendance de la BCE est le véritable gage de la crédibilité de la future politique monétaire. Ce principe a été développé par Barro et Gordon et concerne tout le problème des décisions discrétionaires et réglementaires.
Exemple de cette problématique : la prise d’otage. Normalement un gouvernement refuse de négocier. Mais une telle décision est discrétionnaire : les preneurs d’otage misent sur une éventuelle négociation. Si, de façon réglementaire, il était impossible au gouvernement de négocier (par une loi par exemple), les preneurs d’otage potentiel, ne feraient pas de prie d’otage, aschant qu’ils n’ont rien à en attendre.
Il en est de même pour la politique monétaire : un gouvernement peut toujours être tenté de recourir à une politique expansionniste, même s’il a promis qu’il n’en serait rien. Quelle que soit la politique qu’il poursuivra, elle ne sera donc pas crédible.
Pour Patrick Artus (CDC), cela n’est pas suffisant. Si la politique budgétaire est libre, il reste des tentations au gouvernement. Les agents économiques anticipent alors un biais inflationniste néfaste. Dans un tel cas (politique monétaire restreinte et politique budgétaire libre), on est encore plus perdant.
Ce risque explique le critère de déficit de 3% du PIB. Il garantit la crédibilité de l’ensemble de façon réglementaire (les sanctions en cas de non respect étant particulièrement dissuasives : de 0,2 à 0,5% du PIB !)

Enfin, le problème des « out » a également été pris en compte. Il existe en effet des difficultés pour ceux qui se trouvent dans le grand marché et hors de l’UEM. Pour éviter des dissensions mettant en péril l’ensemble de l’édifice, il est prévu d’instaurer un SME bis opur éviter des dévaluations compétitives insupportables pour les « in »)

Donc l’UEM apporte un bénéfice par rapport à la situation actuelle, de véritables avantages économiques. De plus, la crédibilité repose aussi sur des signes forts, des engagements, d’où le développement de règles afin d’assurer la viabilité et la cohésion du système, son existence même, ainsi que le développement de règles afin d’assurer la crédibilité de sa politique économique et donc de sa monnaie.
Cependant il reste des incertitudes, ainsi que des problèmes en suspens.

II. Qui ne doit pas faire oublier des incertitudes et des dangers

A. Les problèmes de mise en route

Le premier problème est le cours des monnaies : ce sont les cours pivot du SME qui ont été choisis. L'avantage est bien sûr d'éviter des négociations interminables impossibles à conclure. De plus les marchés s'y attendaient, cela permet donc une plus grande continuité et donc une plus garnde lisibilité. MAIS ce choix pose un véritable problème : il ne reflète pas la réalité économique. Il ne correspond pas à la compétitivité actuelle des économies, et pourrait conduire à une déstabilisation de l'ensemble, donc nuit à la crédibilité du projet.
Il existe un problème similaire avec le passage de l'ECU à l'EURO au taux de 1 ECU pour 1 EURO, alors que ces deux monnais ne sont pas constituées des mêmes monnaies !! Sachnat qu'on rajoute la contrainte de conserver les cours pivot, cela pourrait entraîner des distortions par rapport à l'économie réelle.

Par ailleurs plusieurs problèmes vont se poser à al BCE. Tout d’abord le suivi de l’économie : il va falloir élaborer des indices permettant le pilotage de la monnaie. Or les indices à l’échelle européenne sont difficiles à développer et à fiabiliser. Cela va poser de gros problèmes : on ne peut piloter en aveugle. Cela va poser des problèmes de crédibilité, au moins au début (d’ailleurs au début il on ne devrait disposer essentiellement que d’indices nationaux), ceci d’autant plus qu’elle est nouvelle. Bien sûr elle sera constituée de banquiers centraux « crédibles », mais cette BCE n’est ni la Buba, ni la banque de France. La crédibilité se gagne avec le temps. Et là encore, comme on ne sait pas quels seront les types d’objectifs poursuivis par la BCE pour piloter la politique monétaire, cela devrait encore accroître l’incertitude et entaché sa crédibilité. Le manque de lisibilité va nuir à la BCE.
La BCE risque donc d’être testée par les marchés, ce qui pourrait avoir pour conséquence :

    •  De maintenir des taux hauts, de façon économiquement injustifiée et etouffer la croissance européenne
    •  De créer des dissensions au sein de l’UEM entre les pays à différentes traditions monétaires, si la croissance européenne en souffre, et peut être de mener à une paralysie de l’ensemble
Cela amène au problème de la coordination

B. La question de la coordination

En terme de Policy Mix, le risque du développement d’un jeu non coopératif entre la BCE et les économies européennes existe. Or la rigueur monétaire conjuguée à une rigueur budgétaire aurait pour conséquence catastrophique la déflation et la récession. Ce type d’équilibre non optimal avait déjà donné lieu à la récession des années 90.
Par ailleurs les gouvernements n’ont que peu de marge budgétaire pour le moment (marge qu’ils sont d’aileurs encouragés à développer), et le rôle des conseils Euro X et Ecofin n’est pas suffisamment clair. Il est donc source d’incertitude. Pourtant la coordination budgétaire est nécessaire pour que la politique monétaire soit efficace. D’ailleurs, comme le précise Aglieta, la non coordination des politiques budgétaires entraînerait une incertitude sur l’évolution des fondamentaux de l’économie. Ces incertitudes portent sans conteste atteinte à la crédibilité de l’UEM (et pourraient conduire à une prime de risque sur l’Euro).
Il y a donc un véritable problème de crédibilité quant à l’aptitude des instances européennes à mener un bon Policy Mix au niveau européen, sachant qu’on ne peut plus le mener à un niveau national.
Ce problème dépasse même le cadre de la coordination pour s’étendre à la solidarité budgétaire, qui n’est pas envisagée par l’UEM (« No Bail out ») : comment réagirait l’Union face à un choc asymétrique, sachant qu’elle n’est pas une zone monétaire optimale ? Comment résorber ces chocs ?
En effet, le taux de change n’est plus une variable d’ajustement (tous les pays de l’UEM utilisant la même monnaie). A l’échelle d’un pays comme la France, c’est la solidarité nationale qu’on met en œuvre (par des aides directes par exemple). Aux Etats Unis, la résorption des chocs est assurée par des transferts budgétaires (jusqu’à 30% de l’Etat concerné : le gouvernement fédéral demande moins de recettes fiscales et alloue davantage d’aides) et les mouvements de population.
Au niveau européen, il n’est pas possible d’utiliser la politique monétaire à ces fins (elle est utilisée pour le bien de l’ensemble et pas suivant des besoins locaux). La réponse à de tels chocs est donc nécessairement budgétaire. Mais

    • le budget européen est très limité (1,3% du PIB total !)
    • le déficit budgétaire local est encadré de façon restrictive par le pacte de stabilité
Les variables d’ajustement ne peuvent alors être que les revenus et l’emploi, ce qui pourrait conduire à une crise intra-communautaire. Pour éviter ce scénario catastrophe, il faut
    •   soit un budget fédéral plus élevé
    •   soit une redistribution directe d’aides (solidarité budgétaire entre les pays)
    •   soit une plus grande coordination des budgets nationaux assorti d’un assouplissement du critère de 3%
Le problème est réel : il ne touche guère les pays très interdépendants et peu spécialisés. Mais de petits pays très spécialisés comme la Finlande- très dépendante de la filière bois-papier, ou l’Irlande, orientée sur la micro-informatique, sous exposés à ce type de chocs asymétriques. Or les compétences du conseil Euro X et du conseil Ecofin restent encore trop vague pour donner de la crédibilité à l’UEM face à ce type de crise.

Enfin, la fin du risque de change va augmenter considérablement l’intérêt de politiques de concurrence fiscale ou sociale entre les pays de l’Union. On craint ainsi des dissensions au cœur de l’Union s’il n’y a pas d’harmonisation ou de rapprochements des politiques fiscales et sociales pour éviter une concurrence débridée entre les Etats. Là encore l’UEM va devoir aller de l’avant pour être crédible.
 

Conclusion :
L’UEM représente un gain économique certain qui contribue à la rendre crédible. Les Etats ont cherché à asseoir cette crédibilité en instaurant des règles de bon fonctionnement. Celles-ci doivent assurer la cohésion de l’ensemble et la crédibilité des politiques économiques menées.
Pourtant il reste des incertitudes, notamment sur l’attitude de la BCE et la capacité de l’UEM à mener un bon Policy Mix et à résister à des chocs asymétriques.
Alors, l’UEM est-elle crédible ? Le terme de « crédibilité » renvoyant souvent aux marchés financiers, c’est vers eux qu’on peut se tourner. La convergence des taux à LT des différentes économies européennes et la solidité des changes entre les monnaies de la future zone Euro sont des indices qui montrent que les marché y croient.
LA crédibilité de vient pas de soi, elle ne se décrète pas, elle s’acquiert. La forte volonté politique affichée, ainsi que l’historique de la construction européenne font que pour le moment on fait confiance à l’UEM, par delà les incertitudes.
Ce sera la première crise grave, du type récession ou choc asymétrique, qui montrera si l’UEM est vraiment crédible.
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