Si tu veux la paix, prépare la guerre

François Jeulin

I. Les difficultés de garantir la paix pour un Etat
A. Préparer la guerre pour assurer sa sécurité extérieure
1. Un réflexe naturel
2. Porteur de germes de guerre
B. Le refus d’envisager la guerre
1. La logique pacifiste non violente
2. Les limites
II. La recherche de la paix à un niveau international
A. La paix par l’empire
1. Principe
2. Limites
B. Le système de paix perpétuelle de Kant
1. Principe
2. La guerre comme moteur de la paix
Bibliographie :


Corps de l'exposé (reprise partielle de mes notes, d'où des tournures plutôt orales...) :

Intro : Je ne vais pas vous surprendre en vous disant qu'il s'agit d'un thème d'actualité. Toute considération morale et humanitaire mise à part, l'une des raisons d'intervention en Yougoslavie est d'éviter l'élargissement du conflit et donc de la guerre à des parties en paix. Dans un tel cas il semble bien qu'on applique l'adage "si tu veux la paix prépare la guerre", poussé jusqu'au déclenchement même de la guerre.
Une telle attitude est "revenue à la mode" depuis Münich. on avait constaté à l'époque que le refus de préparer la guerre, pour assurer la paix, s'était soldée par un cuisant échec.
Mais cet adage est bien plus ancien et remonte aux stratèges romains : "si vis pacem, para bellum". Je restreindrai donc l’exposé au champ initial de cet adage, c’est à dire à la guerre et la paix entre Nations. Dans une société civile régie par le droit, la notion de guerre entre individus n’a à priori pas de sens.
Par guerre j’entendrai un état de conflit entre deux Etats, où les divergences d’intérêt sont réglées par la force et non par le droit. La paix, elle, ne peut se résumer à une absence de conflit, mais correspond à une situation où les différents sont réglés par le droit
Peut on envisager que vouloir la paix nécessite de préparer la guerre ? Les moyens employés ne dénaturent-ils pas la fin ? Est-il possible d’envisager une autre façon de parvenir à la paix ?
Nous verrons dans une première partie les difficultés pour un Etat de garantir la paix : en préparant la guerre ou en s’y refusant, la paix qu’il assure n’est qu’une trêve. Dans un second temps, nous chercherons à déterminer s’il n’y a pas une possibilité d’établir la paix, mais en la recherchant à une échelle planétaire, et le rôle que la guerre a à jouer.

I. Les difficultés de garantir la paix pour un Etat

A. Préparer la guerre pour assurer sa sécurité extérieure

1. Un réflexe naturel

C'est un réflexe logique : pour éviter d'avoir à se battre, en dissuader l'agrsseur en s'y préparant. C'est ce que l'on pourrait appeller une "paix armée". C'est celle que connaissent la plus part des pays en paix de part le monde.Le service militaire est l’exemple même d’une préparation de la guerre en temps de paix. Même un pays comme la Suisse qui se tient à l’écart des conflits, qui est un pays neutre, prépare la guerre : les ponts sont équipés dès leur construction pour être dynamités et les citoyens s’entraînent chaque année à se battre.
Finalement les armes ne sont que des moyens en vue de la paix. De ce point de vue la paix n’est pas un état passif, mais au contraire un état actif : on se bat pour la paix, on la prépare activement, en préparant, de façon paradoxale, la guerre. On retrouve cette duplicité dans le double visage d’Athéna, pacifique et guerrière à la fois, qui allie l’olivier, symbole de paix, au glaive et au casque.

2. Porteur en soi de germes de guerre

Mais cette paix armée, par l'équilibre des puissances, est-elle véritablement la paix ?
Elle s’apparente davantage à une guerre latente, prévue, préparée. La paix véritable n’est pas seulement absence de combats, elle est également absence de menace : elle a pour vocation à être perpétuelle, sinon il ne s’agit que d’une trêve.
Ainsi les relations entre le bloc soviétique et le camp occidental n’ont pas été qualifiés de paix, mais de guerre froide.
La paix armée est régie par la peur de l’anéantissement réciproque. Elle est une anticipation de la guerre. Sa psychologie est finalement proche d’un pacifisme fataliste qui à force de redouter la guerre, finit par le provoquer. Le résultat de la paix armée peut être la guerre alors même que son intention est de sauver la paix.
L’escalade militaire qui l’accompagne conduit à une forte instabilité. Quand un certain seuil d’armement est franchi, la paix risque de se muer en guerre. Lassé et inquiet d’attendre l’une des parties finit par se jeter au combat (Alain).
La logique de la dissuasion, en infligeant à l’autre la crainte de mourir, répond à la peur symétrique qu’il inflige. L’escalade qui s’ennuie, au lieu de supprimer la crainte, la nourrit. Dans une logique de dissuasion la paix n’est plus qu’une fin lointaine que ses moyens dénaturent : la dissuasion finit par travailler à la guerre en incitant l’autre à se surarmer

B. Le refus d’envisager la guerre

1. La logique pacifiste non violente

On vient de le voir, préparer la guerre pour avoir la paix, c’est tenter de concilier deux contraires. Le moyen employé – la préparation de la guerre – dénature la paix.
Le pacifisme radical refuse absolument toute guerre : la guerre est ce qu’il y a de pire et doit être évitée à tout prix. La voie proposée est le refus de l’affrontement, le refus du conflit. Préparer la guerre pour « défendre » la paix, c’est combattre le mal par le mal et conduit finalement à la guerre.
Prôner la non violence et le pacifisme c’est enclencher la logique inverse : si les Etats refusent le recours à la guerre, parce que l’opinion publique les pousse à agir ainsi, alors la paix est garantie.

2. Les limites

On voit immédiatement les limites et le danger d’une telle doctrine. Le principe de non violence appliqué seulement à soi réintroduit la guerre. Etre démuni c’est s’exposer à l’agression de l’autre et l’inciter à une guerre victorieuse.
Le pacifisme radical n’est donc qu’une utopie : il suppose un renoncement de tous les Etats à la guerre, sans autre garantie que la bonne volonté des autres. L’exemple de la Belgique durant la seconde guerre mondiale est édifiant : refusant la guerre elle a fini envahie par le régime Nazi. Le pacifisme radical revient, s’il n’est pas adopté par les autres, au choix de l’esclavage. La vraie paix n’est pas un sommeil léthargique, l’oubli de soi, une lâcheté frileuse. Elle ne peut avoir peur de mourir.
On perçoit d’ailleurs là le deuxième danger qu’il recèle pour une société : si personne n’est prêt à mourir pour la défendre c’est qu’elle n’est rien, elle ne représente rein pour ses membres. C’est une société condamnée à disparaître. C’est une société frileuse, morte, qui n’a plus de dynamique car elle refuse de se donner les moyens d’affirmer sa singularité, dans la confrontation.
On constate donc une grande difficulté pour les Etats à garantir la paix : refuser d’envisager la guerre et toute forme de violence pour défendre sa singularité conduit :

  • soit à un véritable délitement par l’intérieur de la société : elle perd sa cohésion et ses valeurs
  • soit à l’assujettissement par un Etat belliqueux qui y voit l’occasion d’une victoire facile
  • D’un autre côté préparer la guerre pour défendre la paix, c’est participer à une escalade qui contient en elle les germe de la guerre. Ca n’est pas garantir une paix véritable, mais seulement assurer une trêve
    Vouloir la paix nécessite donc non pas de l’envisager à un niveau purement national, mais international.
    II. La recherche de la paix à un niveau international
    A. La paix par l’empire

    1. Principe

    Cette recherche de paix correspond à une radicalisation de l'adage "si tu veux la paix, prépare la guerre" en "si tu veux la paix, fais la guerre »
    On peut ainsi imaginer une paix fruit d’une pacification armée menée par un Etat. Celui-ci pour se protéger et garantir la paix par la force lance un vaste mouvement de colonisation, assurant ainsi comme l’a fait Rome dans l’antiquité, une « Pax Romana ». Une telle démarche pourrait se résumer en « si tu veux la paix, prépare la guerre à toutes les autres nations ». L’empire universel se constitue en éliminant tous ses rivaux et en intégrant les vaincus à son ordre. Ainsi la paix est assurée comme paix civile au sein de l’empire

    2. Limites

    L'exemple romain est significatif car il montre aussi les limites d'un tel raisonnement : lorsque la pacification externe est achevée, c'est la pacification interne qui s'écroule : le trop vaste empire romain a été déchiré par des guerres intestines, qui sont la contrepartie d'une paix violente.
    Comme le montrent Kant (la monarchie universelle) ou Aron, un tel empire est nécessairement voué à disparaître en se désagrégeant en un grand nombre d’Etats plus petits, qui se livrent à nouveau à des guerres entre eux. Cette désagrégation est obligatoire car une telle « monarchie universelle » n’est pas apte à prendre en compte la diversité des peuples. L’imposition par la force d’un ordre unique ne peut que conduire à l’anarchie universelle ou à un retour à l’ordre d’origine.

    B. Le système de paix perpétuelle de Kant

    On a constaté l'échec de la guerre comme moyen direct d'assurer la paix :

    • aussi bien comme moyen préventif par la dissuasion qui consiste à préparer la guerre tout en voulant la paix.
    • que comme moyen offensif en instaurant un empire mondial.
    Par ailleurs, la paix quand elle existe s'apparente à une trêve entre deux guerres qu'à une paix véritable. Ainsi lorsque s'achève une guerre, le traité de paix, souvent à l'avantage du vainqueur et humiliant le vaincu est porteur des germes d'une guerre à venir. Quant bien même ce ne serait pas le cas, le désir de revanche risque de refaire surface un jour ou l'autre et de provoquer une nouvelle guerre
    Dans ces conditions vouloir la paix a-t-il un sens ? Kant a décrit comment la paix véritable, la paix perpétuelle est possible.

    1. Principe

    Kant fait une analogie entre les individus et les Etats à l’état de nature. Cet état est un état d’hostilité, de rivalités, un état de guerre. Les individus constituent par le contrat social une société civile qui assure la justice par le règne du droit. Et le droit assure dans le même temps la coexistence pacifique des libertés. Ainsi il y a un abandon de la violence brute pour le droit.
    Kant estime qu’il peut en être de même au niveau des Etats, de façon à ce que ceux-ci abandonnent leur état de nature pour un état de droit, en constituant soit une société des Nations, soit, de façon moins poussée, une alliance des Nations.
    Il s’agit d’un nouveau contrat social dont tous les Etats sont les membres. Il ne consisterait pas en un abandon de souveraineté, ce qui n’est pas raisonnablement envisageable et conduirait à un échec, mais un renoncement à la guerre comme mode de règlement et à l’institution d’un droit cosmopolite :

    • Libre relation et libre circulation
    • Libre commerce
    • Egalité de traitement au sein d’un Etat
    • Droit d’immigration
    La sécurité et les droits des Nations seraient garantis non par leur puissance ou leur juridiction propre, mais par la Société des nations et par ce droit cosmopolite.
    Contrairement au contrat social qui est davantage une vue de l’esprit qu’une réalité historique, le processus de marche vers la paix perpétuelle est un processus historique. Son instauration pour Kant devrait se faire de façon progressive : il se constitue un noyau de Républiques autour duquel la paix perpétuelle peut s’étendre. La paix qui d’emblé n’est aps universelle, le devient par agrégation progressive.

    2. La guerre comme moteur de la paix

    Vous allez objecter qu'il s'agit d'une belle construction théorique, mais qu'on ne voit pas ce qui peut pousser les Etats à accomplir une telle démarche.
    Pour Kant le grand dessin de la Nature, c’est la paix et pour cela elle a un outil : la guerre. De même que la Nature utilise la malice et l’hostilité des hommes pour les pousser au contrat social, elle utilise la guerre et la discorde pour conduire les Etats vers la paix perpétuelle.
    En effet, la malice, la brutalité, l’hostilité naturelle de l’homme, le conduisent à se rendre compte que son intérêt est de quitter l’état de nature pour constituer une société civile.
    Les guerres sont des tentatives imparfaites d’arriver à la paix. « Après des destruction et des bouleversement sans nombre, après avoir épuisé toutes les forces, la Nature pousse les hommes au but que la raison aurait pu leur assigner sans d’aussi terribles expériences : quitter l’Etat anarchique pour entrer dans une société des Nations ».
    Par cette voie dérivée la Nature contribue à l’instauration d’une paix perpétuelle, dynamique et pas une paix oisive, qui ne favoriserait pas l’union des hommes. De lus ce « moyen » employé par la nature permet de préserver la liberté de hommes : ils choisissent eux même la paix en la construisant, elle ne leur est pas imposée.
    Toutefois il y a une condition sine qua non : que la structure interne de nations soit républicaine. Je ne vais pas détailler les critères de Kant, mais l’essentiel c’est que le pouvoir de décider de la guerre relève des citoyens : ainsi les citoyens, entraînés par l’esprit de commerce et leur intérêt hésiteront devant la guerre et seront enclin à pousser leurs Etats vers la SDN
    La guerre est donc de ce point de vue un moteur de la paix, l’outil de la nature conduisant à la paix. Cependant cela ne signifie pas que préparer la guerre et s’en remettre à la seule Nature pour la paix suffise. Kant précise bien que la bonne volonté de souverains qui s’efforcent de se rapprocher de la paix perpétuelle est aussi nécessaire pour construire cette paix.

    Conclusion : On a donc vu que préparer la guerre pour avoir la paix, réflexe déjà présent dans l’antiquité, ne permet que d’assurer une trêve provisoire et finit par déclencher la guerre. Les Etats sont donc incapable à leur échelle propre de créer les conditions de la paix car se refuser complètement à la guerre, en ne se défendant pas, n’est pas une meilleure solution.
    La possibilité de la paix ne peut donc résider qu’à un niveau mondial. La pacification par une seule Nation constituant un empire n’est pas une solution et ne peut déboucher à terme que sur l’anarchie ou une explosion et un retour à la situation initiale.
    Le seul moyen de garantir la paix est un nouveau contrat social conclu entre les Etats visant à l’instauration d’un droit cosmopolite. La Nature y œuvre par cela même que la paix doit éviter : la guerre.
    Les développements récents, tel que la guerre en Irak ou en Yougoslavie, peuvent faire espérer qu’on se rapproche de l’avènement d’une paix perpétuelle par un droit international, le noyau de républiques pensé par Kant pouvant être incarné par les républiques occidentales. Cependant celles-ci ne font pas preuve de la bonne volonté nécessaire selon Kant : par leurs ventes massives d’arme de part le monde, elles contribuent davantage à entretenir l’idée que pour assurer sa sécurité, il vaut mieux préparer la guerre que l’avènement d’un système international.
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