Les principes de non disponibilité et d'intégrité du corps humain

François Jeulin

Les progrès de la génétique et de ses applications soulèvent de nombreux et nouveaux problèmes en matière d’ éthique. Pour tenter de réglementer, et de guider le juge, le législateur a inscrit dans les lois de nouveaux principes juridiques dont l’indisponibilité du corps humain et le respect de l’intégrité du corps humain . Quelles sont les règles générales de droit sur ces deux principes ? Quels sont les faits et comment ces règles récentes s’appliquent-elles aux faits ?

La loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain formule ainsi l’indisponibilité du corps humain : " Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial " (Art. 16-1). La même loi garanti aussi le respect de l’intégrité du corps humain : " Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. " (Art. 16-3). Ces deux principes de droit sont, par ailleurs, développés et appliqués à différentes situations dans le texte de loi.
Ce texte de loi fait écho à un réel besoin qu’a souligné la cour de cassation dans son arrêté du 31 Mai 1991. Celui-ci concerne l’adoption par la conjointe d’un couple d’un enfant conçu à l’aide d’une mère porteuse - l’enfant étant née du conjoint, sans filiation maternelle. L’adoption avait été acceptée en appel. Pour casser ce jugement, la cour mis en avant l’indisponibilité du corps humain, découlant de l’article 1128 du code civil (lien qui ne va pas nécessairement de soi, le principe de l’article 1128 n’étant pas directement applicable aux éléments et produits du corps). Elle souligna de plus l’abus de droit que représente le détournement de l’institution de l’adoption dans ce cas. Et surtout, l’arrêt met en avant la grande divergence juridictionnelle en la matière et demande une clarification de la situation.
La loi relative au respect du corps humain fixe donc un cadre répondant à une situation de fait problématique. Cependant si le principe d’indisponibilité du corps humain tranche les problèmes liés aux conflits entre couple et mère porteuse ou à la légalité de la pratique, il crée des situation de fait où, pour le respect de la loi, personne ne trouve son compte. Dans le cas de l’adoption de cet enfant, alors que celle-ci est tout à fait légale, et souhaitable pour le couple et l’enfant (d’un point de vue moral), l’acte illégal de recours à une mère porteuse vicie irrémédiablement l’adoption, car il est considéré comme troublant l’ordre public. L’optique dans laquelle la règle est mise peut donc poser problème.
Les problèmes de filiation sont aussi concernés par le principe de respect de l’intégrité du corps humain. L’autorisation du père présumé pour un test génétique est nécessaire. Là encore, le respect de la règle peut poser des problèmes moraux (déresponsabilisation de fait de pères naturels,...) et peut encore un fois pousser à s’interroger sur le système de valeur que nous désirons. Mais même hors de toute considération morale l’application de la règle peut se révéler problématique : que faire si le père présumé est mort et si celui-ci a refusé de son vivant toute analyse. C’est le cas de Yves Montand pour lequel a été ordonné une recherche génétique après exhumation. Le problème se pose en des termes différend du temps de son vivant car un mort n’est plus une personne légale et donc, logiquement, on peut pratiquer une analyse. Cependant cela va à l’encontre d’un autre principe de droit qui préside à la plus part des pratiques concernant le " droit des personnes décédées " qui veut qu’il y ait permanence de la volonté d’une personne après sa mort. Il y a donc une lacune dans la loi sur ce problème car on traiterait différemment la volonté de la personne avant et après sa mort.
D’autres faits tombent aussi sous le coup du principe de respect de l’intégrité du corps humain. Ainsi a-t-on appris qu’environ 15000 femmes (le chiffre est soumis à caution, mais pas la fait) ont été stérilisées de force en France dans des centres d’accueil pour handicapés mentaux. D’un côté le comité national consultatif d’éthique a émis un avis favorable sur cette pratique, si elle est accompagnée de toutes les précautions d’usage. De l’autre, l’association des paralysés de France dénonce cette politique qu’elle considère comme eugéniste. Elle souligne de plus que le concept de handicap mental n’a jamais bien été défini, ce qui pose des problèmes d’application.
Le problème qui se pose est l’interprétation de la règle. On pourrait mettre en avant la restriction " hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ". Cependant, même si l’état en question pouvait désigner l’état mental du patient, le législateur a bien précisé " intervention thérapeutique ", ce qui ne peut être appliqué à une stérilisation. Pour l’instant, la règle semble interdire cette pratique. Pour répondre aux faits, il faudrait un débat politique préalable permettant de statuer sur le système de valeur que l’on veut pour notre société sur ce problème. Et si cela devait débouché sur une modification de la règle, cela nécessiterait la définition d’autres principes comme le concept flou juridiquement de handicap mental.
Mais les cas relevant du principe du respect de l’intégrité du corps humain ne posent pas tous des problèmes de façon aussi claire. Dans l’affaire du meurtre de Caroline Dickinson le juge a demandé aux habitants de faire des tests de façon volontaire, restant donc largement dans le cadre du principe. La vrai difficulté est plutôt à venir : en matière pénale, peut-on forcer quelqu’un à faire un test génétique ? La lecture des trois alinéas de l’article 16-11 laisse planer le doute. Le texte est-il volontairement flou, laissant la jurisprudence s’établir ? En tout cas cela s’inscrirait dans un sens contraire à celui du principe général d’intégrité du corps humain.
Donc, les principes de non disponibilité du corps humain et d’intégrité du corps humain sont des principes de droit nouveaux, répondant à un besoin provenant des progrès des applications de la génétique. Ils créent dans certaines situations des problèmes de fait et posent aussi des problèmes d’optique d’interprétation. Ceci est logique pour des principes nouveaux et il reste à la jurisprudence à les faire vivre et leur donner toute leur signification.
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