L’Australie globalisée

François Jeulin

L’Australie, pays très protectionniste dans les années 60 et 70, s’est ouverte sur le monde dans les années 80, à la suite du comité Campbell de 1979. Cette ouverture s’est faite principalement par la déréglementation financière et l’ouverture des frontières au libre échange mondial. Cette orientation stratégique s’est effectuée dans le but d’augmenter la compétitivité des entreprises australiennes et de dynamiser la croissance du pays par l’arrivée de capitaux étrangers. Pour bien saisir l’ampleur du phénomène et sa spécificité, on étudiera la globalisation de l’Australie dans sa dimension économique et financière, puis ses acteurs : les membres de la nouvelle classe capitaliste transnationale australienne (" transnational capitalist class " selon l’expression de Leslie Sklair, professeur à la LSE).
 
 

I. La globalisation de l’Australie : des racines économiques et financières

Avant les années 80, l’économie australienne était protégée par des tarifs douaniers prohibitifs fixés par le " Tariff Board ". C’est M. Rattigan, nommé à la tête du Tariff Board qui se fit l’apôtre d’une économie ouverte (dès 1963), dans le but de dynamiser les entreprises australiennes. Cela déclencha l’opposition d’une grande partie de la classe politique et des grandes entreprises implantées sur le marché australien, en particulier l’industrie automobile (dominée par Ford et General Motors), l’électroménager, la confection et le textile. Par la suite, un gouvernement travailliste, fraîchement élu (1972), décida de diminuer les taxes douanières de 25%. Celles-ci ne cesseront de diminuer pour ouvrir le marché australien à la concurrence internationale dans les années 80.

C’est effectivement dans les années 80 que l’Australie s’ouvre à la globalisation. La première étape est financière : le système financier est dérégulé et ouvert aux capitaux internationaux, suivant un plan élaboré par le comité Campbell. Les banques étrangères sont autorisées à s’installer en Australie en 1985, suivant en cela les recommandations élaborées par le comité en 1982. Cette ouverture est liée à des contreparties de réciprocité, généralement avec les pays d’Asie du Sud Est : en échange de cette ouverture du marché australien, les banques australiennes ont le droit de s’établir dans ces pays, en particulier le Japon. Dans la même optique de libéralisation des échanges et d’ouverture du marché australien, le dollar australien est libéré des contraintes étatiques et laissé flottant en 1983, c’est à dire bien plus tard que le système de changes flottants instauré dans les autres pays développés à la suite de la faillite du système de Bretton Woods.

Ces rappels sont essentiels pour bien comprendre l’Australie globalisée d’aujourd’hui. Ces réformes ont permis à l’Australie d’avoir un marché des capitaux particulièrement libre, ceux-ci circulant fluidement au travers du marché australien, bien intégré au marché mondial : les flux de capitaux circulent librement à l’import ou à l’export. Ceci a contribué à tisser des liens serrés avec les autres pays développés, ancrant l’Australie dans le système global. Cette intégration au système économique mondial par les flux de capitaux mondiaux se fait encore avec des partenaires privilégiés : la Grande Bretagne reste un investisseur privilégié ainsi que la destination d’investissement favorite des capitaux australiens. Viennent ensuite les Etats Unis, la Nouvelle Zélande, et les pays de l’ASEAN. L’Australie compte bien développer les échanges de capitaux avec cette partie du monde et ancrer sa mondialisation dans une régionalisation accrue.

Les liens avec l’Asie se sont d’ailleurs particulièrement développés par l’intermédiaire de la déréglementation du marché bancaire. Les banques australiennes, stimulées par l’ouverture de leur marché à la concurrence internationales se sont regroupées, sont devenues plus profitables et ont ouvert des succursales dans de nombreux pays asiatiques, suivant leurs gros clients domestiques ou recherchant tout simplement à s’étendre. Les banques de la région sont devenues de plus en plus interdépendantes du fait de l’ouverture des marchés, et intégrées au système bancaire mondial.

Le marché des changes australien a ainsi pris un essor considérable depuis les premières réformes. La place financière australienne est devenue une place importante dans le système mondial des changes. Ceci pour deux raisons majeures : son efficacité et surtout le fait qu’elle est située dans un fuseau horaire idéal. Elle fait le lien entre la fermeture de New York et l’ouverture matinale des bourses européennes, ce qui n’est pas le cas de nombreuses places asiatiques.

On peut donc constater que la globalisation de l’Australie est avant tout financière. Cette caractéristique est propre aux pays anglo-saxons en général. Elle s’est en fait développée au détriment de l’industrie nationale (comme en Grande Bretagne), voire même de l’économie, ce qui est encore plus grave.

Dans le même temps qu’ils confiaient la compétitivité de l’industrie à l’essor des marchés financiers et à l’ouverture internationale, les gouvernements ont bien vu le risque que cela représentait pour l’industrie et ont essayé de mener, parallèlement à la globalisation financière, une politique de restructuration active de l’industrie. Celle-ci n’a pas été suffisante et s’est soldée par un échec. Alors que l’ouverture des marchés financiers est une réussite, celle du commerce a pour conséquence d’énormes déficits commerciaux, qui ont maintenu pendant longtemps l’économie australienne en récession (la politique de limite des importations se résumant essentiellement à une hausse des taux d’intérêt) qui s’est achevée récemment (croissance de 2,7% l’an dernier). Les restructurations ont aussi été une source de chômage, qui s’élève maintenant à 8,5% de la population active. De plus, l’économie australienne est devenue très dépendante des capitaux étrangers, le solde des flux de capitaux étant très largement déficitaires.
 
 

I. Les acteurs de la globalisation

On peut distinguer quatre types d’acteurs qui ont permis la promotion et la réalisation de la globalisation en Australie : les dirigeants des entreprises transnationales et leurs représentants locaux, les hauts fonctionnaires " globalisants ", les hommes politiques libéraux, et les élites consuméristes (les médias par exemple).

Les chefs des grandes entreprises transnationales, regroupés dans le Business Council of Australia (BCA) exercent une autorité politique importante de par la présence en leur sein des dirigeants des plus grandes compagnies australiennes. Le BCA fournit les raisonnements théoriques de la culture de la globalisation, fondée sur des principes de libre échange. Il sait se faire entendre auprès des gouvernements et est une source de pression permanente et bien organisée. Il est appuyé par de nombreuses autres associations qui font du lobbying, telles que la chambre de commerce et d’industrie australienne.

La Commission de l’Industrie est une institution essentielle dans le processus de globalisation. Elle est composée de membres du gouvernement, de professionnels et de chefs d’entreprise. C’est parmi ses membres que l’on trouve les hauts fonctionnaires activement engagés dans le processus de globalisation., ainsi qu’ au ministère de l’Industrie, des sciences et de la technologie, au ministère des affaires étrangères et du commerce. Ceux-ci partagent une culture et une idéologie que l’on peut caractériser comme le mélange d’un " nationalisme global émergeant " (formule de Leslie Sklair) et du libéralisme économique. Pour eux l’intérêt de l’Australie se trouve dans une accélération de la mondialisation de l’économie. L’Australie pourra en tirer pleinement parti en levant toute protection douanière et en déréglementant le marché du travail, ce qui forcera les entreprises à devenir compétitives.

Les hommes politiques libéraux (ce qui inclus bon nombre de membres du parti travailliste), partagent ce point de vue. Ils s’inspirent de travaux de nombreuses institutions ou fondations libérales ainsi que des enseignement des école de commerce, utilisant parfois des concepts " prêts à penser ". Ils sont l’un des relais avec la population, expliquant les grandes lignes de la globalisation et ses avantages.

Les élites consuméristes forment un autre groupe oeuvrant à la diffusion des idées " globalisantes ". Elles sont particulièrement actives au travers des médias, dont elles sont généralement propriétaires : à travers les chaînes de télévision, les radios, les journaux, la publication de livres, les films, la publicité,... elles diffusent la culture du consumérisme et du " village global ". Ce sont ces élites qui ont permis la globalisation ; C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les processus de globalisation ont commencé dans les années soixante, avec la révolution technologique qui a permis l’émergence de médias de masse. L’un des meilleurs exemples de ces promoteurs consuméristes de la globalisation est Rupert Murdoch.

Ce sont les efforts conjugués de ces quatre groupes, leurs interconnexions, leurs rencontres et leur collaboration qui constituent le moteur de la globalisation australienne. Ceci au point qu’on peut aller jusqu'à évoquer l’émergence d’une nouvelle classe : la classe capitaliste transnationale.
 
 

L’Australie s’est donc globalisée - le processus n’est pas achevé - avant tout de manière financière et sous l’égide d’une élite au motivations parfois diverses, mais à l’idéologie " globalisante " commune, qui s’appuie sur les principes du libéralisme traditionnel. Cette globalisation veut s’ancrer dans un régionalisme accru, pour profiter de l’exceptionnelle croissance des voisins asiatiques, avec qui l’Australie a déjà commencé à tisser des liens. Elle n’a malheureusement pas profité à l’industrie et l’économie australienne : chaque année l’Australie enregistre d’énormes déficits commerciaux, malgré ses exportations de matières premières. Elle a de plus renforcé la vulnérabilité de l’économie, la rendant particulièrement dépendante des investissements étrangers, sans lesquels elle ne pourrait se financer.

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